Paul Toupet présenté par Sylvain, chroniqueur chez Obsküre:
Paul sculpte en utilisant comme base de départ les formes de ces mannequins que l’on trouve exposés dans les vitrines de la société de consommation. Il moule les membres, le tronc, le visage, découpe, ajuste, confectionne et s’éloigne tout en respectant des proportions standardisées. Ensuite, il les habille à son tour et leur fait prendre la pose dans des salles d’exposition.
Nouvelle mode : habits recomposés ou décomposés, matériaux de récupération. Est-ce ainsi un assaut imagé contre l’industrie de l’habillement, contre notre société du paraître ? Faut-il y voir un renvoi à notre moi putrescible qui transparaît et souille les vêtements ? Se méfier des lectures trop politiques. Se méfier surtout des lectures univoques. Suggérer des pistes de lecture plutôt.
Constater tout d’abord que les statues de Paul Toupet sont sur leur 31, revêtent de jolis atours. Elles se sont fait belles, ont tenté de… A Guanajuato, au Mexique, existe un Musée des Momies : plus de cent cadavres bien conservés et découverts dans un cimetière lorsqu’il fallut faire de la place aux suivants. Choc du morbide : des gens morts exposés au regard avec une apparence de vie. De la même façon, les personnages de Paul Toupet gênent parce qu’ils sont vêtus, parce qu’ils sont exposés debout. Comme s’ils n’étaient pas morts totalement. Ce n’est que dans les films que le corps se désagrège si vite en poussière et laisse retomber les tissus sur un sol propre. Les sculptures obligent à accepter une décomposition lente, un travail des matières que le sculpteur démiurge rend possible en accélérant le temps, en symbolisant son passage sur les corps.
Alors, oui, ces écoulements, ces craquelures, ces doigts jaunis peuvent effrayer. C’est sale et ça coule. Ça coule ça semble vivre. Ça semble vivre car les matériaux utilisés exsudent la vie. Plumes écornées, terre, cendres, cire d’abeille... Un art brut traduit par des matériaux non nobles qui jurent avec les tissus, qui jurent avec la peau qu’ils sont amenés à représenter, qui jurent que l’homme est bien terrestre et non céleste. Un art primitif quand il s’agit de représenter de l’humain avec ce qui tombe sous la main, sans se poser trop de questions.
Le vaudou est appelé à la rescousse. On sent derrière cette façon de faire la volonté de « rendre vie » et non pas celle de figer ou même de créer la vie. Les matériaux employés vivaient déjà, avant : la plume était un oiseau, la cendre était du bois, la cire était une fleur et la terre était de l’humus… Le rejet de l’imparfait au profit du présent. On peut voir que c’était et que c’est un oiseau, que c’était et que c’est une femme.
Qu’est-ce que l’envie de créer, de donner à voir, de montrer, de faire ? Paul Toupet garde ses sculptures chez lui, il vit avec. Ses créations le dépassent parfois, dit-il, car elles s’imposent d’elle-même lorsqu’il travaille dessus, lorsqu’il les ausculte comme des corps. Ausculter, action d’écouter. Os-sculpter. Il part de la structure qu’il compose et écoute les désirs d’incarnation que lui chuchotent ses créatures. En même temps qu’il les fait naître, il les retire de ce qu’il est et grandit à leur allure, sous leurs impulsions. Il n’est plus l’un de ses fœtus, il n’est plus l’un de ses bébés qui sort de sa boîte, il n’est plus l’un de ses enfants ou l’une de ses femmes (est-il utile de préciser que le sculpteur est gracile ?)… En 2006, il est devenu, à ce stade de son parcours, son animal fétiche : le lapin.
Le masque de lapin recouvre désormais les anciennes créations. Il est temps de parler de soi, de passer à l’analyse de son moi. De s’attaquer à soi après s’être attaqué aux autres et avoir joué des métaphores : je vous montrais des fœtus et c’était moi (mais pas seulement).
Cependant, le jeu de cache-cache se poursuit encore pour notre plus grand plaisir. Car rien n’est simple. L’analyse est frontale – le masque couvre le front le plus souvent et laisse voir les dents humaines et non celles d’un lapin – mais Paul renvoie encore à une image saturé de sens antérieurs. Qu’est ce lapin pour lui ? Qu’est cet animal dont il fait une série de grande envergure, personnalisant les masques à l’image d’autres – le masque Sylvain, le masque France, le masque Axel – montrant les autres plus que lui, les invitant même à exposer avec lui pour brouiller les pistes : cachez-moi encore un peu s’il vous plaît ? Et si le masque de lapin de Paul, sanglant, était sur le point d’accoucher de quelque chose ? Et puis, une dernière interrogation : pourquoi les personnages tatoués sur le bras de l’artiste se cachent-ils derrière des arbres ? On joue à deux maintenant, lui et ceux qui regardent, qui le suivent. Lapin farceur qui nous entraîne à sa suite dans son terrier, pour dialoguer en prenant un thé.
Les sculptures de Paul Toupet ne sont pas des actes de provocation. Disons adieu à ceux qui ne voudront toujours pas dépasser le premier choc. Ses créations habitent son espace vital, s’invitent sur ses murs et laissent libre cours à des rêves et non des cauchemars, comme le montre le très poignant texte d’Élodie Duparay, « Monsieur Twinberry Py et ses poupées ». Jeu des déguisements multiples, des multiples couches qui subtilisent au regard en même temps qu’elles renvoient (par les orifices oculaires évidés) à un faux monde vide. On tombera avec délice dans l’intérieur de ces crânes peints en noir et savamment remontés, recousus. Une lobotomie générale que les yeux énuclées et agrandis invitent à patiemment explorer.
On ne dira sans doute pas assez que derrière tout ça, la douceur prédomine. Nous sommes accompagnés dans cette quête par tous ces personnages, somme toute peu effrayants, qui nous font provisoirement apprivoiser la mort. L’apprivoiser comme le faisaient sans doute les moines bouddhistes de George Jeanclos qui ont tant marqué Paul lorsqu’il avait seize ans.
Et si demain, à l’heure de notre mort, nous aussi, nous pouvions être comme les sculptures de Paul Toupet, entourés de tant de personnes, et surtout reconnus, nommés, aimés…
Une œuvre pour que l’insoutenable devienne plaisant, agréable. Une œuvre déjà magistrale.